Painting Spirit #2
Les anneaux de Saturne
Mireille Blanc
Damien Cadio
Damien Deroubaix
Commissariat : Sylvie Coulon
Exposition du 09 au 30 novembre
Hors les murs // Lieu unique – Nantes (44)
« Comme les choses (en principe) nous survivent, elles en savent davantage sur nous que nous n’en savons sur elles ; elles sont le livre de notre histoire ouvert sous nos yeux ».1 On pourrait essayer d’introduire ainsi, à travers les mots de W. G. Sebald, les sujets des peintures de Mireille Blanc, Damien Cadio et Damien Deroubaix réunies au sein de l’exposition Les anneaux de Saturne (Painting Spirit #2) qui emprunte son titre à un des romans de l’écrivain allemand. Leurs tableaux, peuplés d’objets du quotidien, d’allégories et de souvenirs personnels, dénotent d’un nouveau regard sur la tradition historique de la nature morte et de la vanité. Après un premier volet consacré aux multiples déclinaisons de l’abstraction contemporaine (Painting Spirit #1), cette exposition met donc en exergue une génération de peintres qui renoue sans complexes les liens avec le passé figuratif de la peinture.
Derrière la séduction intemporelle que le genre de la vanité a toujours exercé, se dégage chez Blanc, Cadio et Deroubaix la recherche d’une dimension auratique de la peinture, que W. Benjamin considérait perdue à l’époque de sa reproductibilité technique. Dans un contexte de consommation visuelle effrénée, ils pointent la situation particulière dans laquelle se retrouve aujourd’hui la peinture figurative, en créant des “images patientes” 2 – pour reprendre les mots du critique Alain Berland – qui demandent à être regardées avec lenteur.
Les
peintures de Blanc et Cadio, qu’elles soient issues de la rencontre
avec un objet, ou des photographies, partagent une relation intime
avec la dimension de l’étrange et de l’ambigu. Collectionneurs
d’images d’objets hétéroclites et éphémères, ils semblent
partager l’idée warburgienne selon laquelle le caractère d’une
époque est à rechercher dans les détails les plus infimes. Les
deux peintres portent en effet un regard microscopique sur le monde à
travers un processus de fragmentation et de recadrage de leurs
sources premières qui en fait ressortir des éléments dont la
nature indécise et opaque reste ouverte aux interprétations.
Dans
les tableaux de Mireille Blanc, les objets se perdent dans
l’épaisseur d’une matière onctueuse, telles des traces
indicielles d’un passé commun et étrangement familier. Elle
définit sa peinture comme une sorte de «
figuration
contrariée »,
puisque ses images ne se laissent pas identifier immédiatement, se
situant souvent à la
frontière entre
abstraction et figuration. Son point de départ
réside dans la
rencontre avec des objets du quotidien ou des photographies trouvées
dans des albums de famille dont elle extrait des détails
à travers de
multiples opérations de recadrage photographique. Souvent l’artiste
laisse entrevoir les contours de ses images-source, en reproduisant
les pliures et les imperfections du papier photographique.
Si Blanc privilégie les teintes grises et laiteuses qui traduisent la densité propre aux souvenirs et à la mémoire, chez Damien Cadio l’atmosphère est davantage sombre et crépusculaire. Ses objets sont absorbés, jusque parfois à leur propre disparition, dans un fond noir évoquant la menace de leur potentiel effondrement. Cadio travaille à partir de compositions de sujets mis en scène et photographiés par lui-même, dont il isole des détails qu’il prive de toute coordonnée spatio-temporelle. Dans le contexte de l’exposition, les tableaux semblent s’entrelacer entre eux tels les éléments d’une scène de théâtre où chaque détail fait appel au suivant en suggérant l’idée d’une possible narration.
Tandis
que les tableaux de Blanc et Cadio rendent compte d’un réel
transfiguré par
la peinture, les vanités de Deroubaix plongent le regardeur dans un
univers davantage allégorique et métaphorique. Les motifs des
tableaux qu’il
présente
à la
Zoo galerie relèvent
du registre de l’imaginaire et du rêve, évoquant les axes
thématiques centraux de son œuvre
comme la vie et la mort, la futilité et la vacuité de l’existence.
Ses peintures naissent d’un assemblage de références visuelles
hétérogènes, provenant de l’histoire de l’art, de l’actualité
politique et de la culture underground, qu’il associe souvent à
des textes provocateurs. Les natures mortes de Deroubaix, composées
d’éléments au fort pouvoir symbolique, se présentent comme un
memento mori
contemporain, traversé par un état d’âme proche de celui de l’ange
représenté par Dürer dans sa célèbre gravure de 1514, ici
évoquée par les titres des œuvres Melancholia
IV (tête
de cheval, grotte de Mas d’Azil)
et Melancholia
(Rhinocéros).
L’astre de la mélancolie qui a guidé Sebald dans sa production littéraire semble donc amener Blanc, Cadio et Deroubaix à trouver dans les méandres de la vie passée une manière d’habiter et d’appréhender le monde, en acceptant sans ambiguïté sa noirceur et sa dégénérescence à travers l’action cathartique de la peinture.
Elena Cardin
1 W. G. Sebald, Séjours à la campagne, Arles, Actes Sud, 2005, p. 165.
2 L’expression “images patientes” est utilisée par Alain Berland, commissaire de l’exposition “Voici le temps des assassins” réalisée en 2019 à la galerie Michel Journiac.
Plus d’informations
Feuille de salle de l’exposition
Dossier pédagogique de l’exposition
Découvrez le travail des artistes de l’exposition « Painting Spirit #2 » Les anneaux de Saturne :
Vues d’exposition et détails d’œuvres – Photo : Philippe Piron
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