Outdoor is Indoor
Clélia Berthier et Meg Boury
Commissariat : Philippe Szechter
Exposition en vitrines au 12 rue Lamoricière, Nantes
Du 09 juillet au 31 août 2021
L’épidémie du COVID combattue par les restrictions des déplacements et la fermeture des magasins a modifié notre rapport à la ville ; ville devenue ville fantôme aux magasins désertés où les marchandises se sont retrouvées bien esseulées dans leur vitrine. Ce confinement a manifestement modifié notre perception de l’espace public et entraîné des névroses provoquées
par l’évitement du toucher, du contact, de la contamination1. Aussi la vitrine est re-devenue le lieu même de la séparation avec l’objet désiré. Elle constitue un appareillage architectural qui joue entre le dedans et le dehors, un seuil entre l’un et l’autre. Le passant, le flâneur pour reprendre ce terme baudelairien, qui arpente son quartier, soumis à ses habitudes quotidiennes utilitaires est devenu plus attentif aux écrans numériques qu’à l’espace réel. C’est à lui que s’adresse cette exposition Outdoor is Indoor.
Zoo galerie a proposé à Clélia Berthier et Meg Boury, deux jeunes artistes nouvellement diplômées de l’école des Beaux-arts de Nantes de se confronter à cet espace particulier qu’est la vitrine souvent perçue comme métaphore de l’écran.
L’œuvre que Clélia Berthier a conçue pour une des vitrines de la galerie, est une installation qui d’une certaine manière pourrait tout à fait être perçue comme un décor de magasin du type BHV. C’est d’ailleurs ce que le passant inattentif pourrait percevoir. Les matériaux utilisés par l’artiste semblent bien sortis d’un magasin de bricolage, qu’il s’agisse de la laine de verre rose qui tapisse murs, sol et plafond ou des double-colliers en laiton qui la constituent. Un socle placé presque au centre vient affirmer l’ambition sculpturale de l’artiste sur lequel repose une sorte de chapelet qui descend du mur frontal. Jusque-là les choses semblent simples mais s’insinuent des boursouflures qui sont le résultat d’une alchimie panetière. Le pain, sans jeu de mots, nous apparaît avec sa couleur dorée comme une matière sculpturale organique en rupture avec les autres matériaux employés par l’artiste. Cette vitrine elle-même se métaphore en organe corporel ? Quant au spectateur ne deviendrait-il pas médecin, invité, en face de cette ouverture transparente, à établir un diagnostic d’après ses observations les plus minutieuses ? A moins qu’une vision poétique de l’œuvre de Clélia Berthier nous entraîne dans des rêveries gargantuesques ou des cauchemars barbiesques.
Plus festive, l’œuvre de Meg Boury présentée dans la grande vitrine nous plonge dans un monde folklorique ou plutôt carnavalesque. La proposition de l’artiste découle de sa pratique de la performance et de ses liens avec la culture populaire mais aussi savante. Ce que le spectateur est amené à voir derrière la vitre est en quelque sorte la relique d’une performance que l’artiste a effectuée auparavant devant quelques personnes. La Laitière, tel est le titre de cette installation et performance qui met en scène une vache dénommée Épatante que l’artiste a confectionnée en carton, revêtue d’un tissu noir et coiffée de plumes comme une danseuse du Crazy Horse mais chaussée de bottes en caoutchouc. Son veau costumisé comme sa génitrice que l’artiste nomme Sensation vient compléter l’ensemble pour former une famille bovine kitsch à souhait. Le burlesque est revendiqué dans cette performance qui consiste à graisser le pie de la vache, puis lui extraire son lait. La laitière, incarnée par Meg Boury, tout droit sortie du tableau de Vermeer va confectionner son beurre qui, servi sur du pain sera distribué aux spectateurs avec sa comparse Clélia Berthier. De cette scène gustative et de partage, seules la vache,le veau et le costume de la laitière seront visibles dans la vitrine dont le fond est recouvert par de la toile de paillage de couleur verte laissant le spectateur imaginer l’avant ou l’après. Animer l’inanimé serait l’invitation à une suite festive que tout un chacun souhaite dans cette période faisant suite au confinement.
L’artiste Meg Boury nous invite à redevenir des enfants comme Mike Kelley avait su le faire en réactivant dans sa performance Horse Dance of the False Virgin2 des photographies d’évènements de kermesses scolaires. Et finalement le tableau grandeur nature fonctionnant comme un diorama n’est-il pas composé pour nous rappeler que le monde réel ne peut être perçu que grâce aux images que nous en donnent les artistes.
Philippe Szechter
Notes
1. « Si l’on se pose la question de savoir pourquoi l’évitement du toucher, du contact, de la contamination, joue un aussi grand rôle dans la névrose et pourquoi il devient le contenu de systèmes aussi compliqués, on trouve comme réponse que le toucher, le contact corporel, est le but premier de l’investissement d’objet, aussi bien agressif que tendre. L’Eros veut le toucher car il aspire à l’union, à la suppression des frontières spatiales entre le moi et l’objet aimé. Mais la destruction aussi, qui avant l’invention de l’arme à distance ne pouvait s’effectuer que dans la proximité, présuppose nécessairement le toucher corporel, porter la main sur autrui. »
Sigmund Freud, Inhibition, symptôme et angoisse, Paris, PUF, 1993.
2. Mike Kelley, Extracurricular Activity Projective Reconstruction #32 (Horse Dance of the False Virgin), 2004-2005
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Vues d’exposition – photos : Philippe Piron