Projection du film Shelter au Wonder, Clichy (92)
Jeudi 24 juin 2021 à 19H
Shelter
Réalisation : Lucie Szechter et Benjamin Cataliotti Valdina.
Avec : Nelson Bourrec Carter, Julie Béna, Alain Declercq, Hoël Duret, Ben Thorp Brown, Anne-Charlotte Finel, Armand Morin, Gwenola Wagon & Stéphane Degoutin, Thomas Teurlai et Alain Damasio, Yan Tomaszewski.
Production : Zoo galerie
Durée : 30’
Année : 2021
Shelter, le film, a été pensé dans le prolongement de l’exposition éponyme initialement prévue pour être déployée dans les locaux de l’Atelier à Nantes. L’exposition a subi, comme de nombreuses manifestations, les « répliques » du tremblement de terre de l’année 2020 – qui nous a tous atteints dans notre socialité, nos modes d’habiter le monde et d’échanger nos impressions sur ce dernier, de partager nos joies et nos peines. Le projet « Shelter » est né dans les tous premiers temps d’un confinement qui a surpris la planète par la violence des restrictions qu’il a causées et des renoncements auxquels il nous a forcés. Ce dernier nous a aussi poussés à nous retourner sur notre intimité, souvent malmenée, à reconsidérer notreespace vital et notre environnement, à interroger les tenants et les aboutissants d’un mode de vie qui sacrifie énormément au dieu tout puissant du travail. Le télétravail – autre avatar de la crise sanitaire – a entre autres suscité de la réflexion sur la nécessité de se déplacer tous les jours en brûlant des combustibles fossiles, dans une société qui aspire de plus en plus à se débarrasser d’un passé énergétique qui fait figure d’épouvantail. Bref, le virus, en nous forçant à rester chez nous calfeutrés et privés de ce qui fait le sel de la vie, les rencontres, la dépense ou encore le « goût des autres », nous a plongés dans une introspection sur l’essence de notre quotidien : certains ont décidé de quitter les métropoles trop bruyantes pour se réfugier dans une province aux vertus retrouvées de solidarité, chlorophyllée à souhait, en s’étonnant de ne payer que 2,50 euros un « demi » en terrasse – faisant grimper en retour les loyers des chefs-lieux de cantons, tandis que d’autres ont massivement investi dans les plantes d’appartement, élevé le bricolage au rang de science du logis et se sont installés dans le rôle de screen addicts, updatant radicalement la figure du couch potato. De nouveaux habitus ont commencé à habiter les habitants des grandes villes.
L’exposition « Shelter » est constituée d’une douzaine de vidéos et d’installations. La plupart des films ont été réalisés avant le lockdown, comme une prémonition de ce qui allait nous arriver et en écho au film quasi éponyme qui relate les mésaventures d’un jeune homme pressentant une catastrophe que lui seul sent venir (Take Shelter de Jeff Nichols). Pour beaucoup, la catastrophe est déjà arrivée : érosion des littoraux, disparition des insectes pollinisateurs, conflits climatiques (d’aucuns considèrent que la guerre civile en Syrie est une conséquence du réchauffement climatique), la recherche d’un refuge se fait de plus en plus pressante : celle d’un endroit où l’on se sent en sécurité, à l’abri des multiples dangers qui menacent notre quotidien. « Shelter », l’exposition, brasse toutes ces thématiques avec, au premier plan, le rôle de l’architecture, archi lointaine émanation de la caverne néolithique qui nous abritait – nous, les premiers hommes – des agressions que la nature ne ménageait pas à notre encontre. L’architecture est devenue un art sophistiqué qui mêle esthétique et lifestyle mais s’acoquine avec les prédateurs d’un immobilier devenu monomaniaque dans sa recherche effrénée de profit. L’architecture n’en demeure pas moins le réceptacle de nos frayeurs passées et de nos désirs de paraître, tout comme de nos volontés de partage d’un vivre ensemble idéalisé. Les films présentés dans l’exposition « Shelter » font la part belle à cette dernière et à certains de ses grands noms comme Richard Neutra, dont l’esprit est doublement revisité par les propositions de Ben Thorp Brown et de Yan Tomaszewski, qui en explorent les ressorts psychanalytiques pour l’un, empathiques pour l’autre. Julie Béna se pose de manière faussement naïve la question de la transparence architecturale tandis que Nelson Bourrec Carter revient au plus profond de nos peurs ancestrales en mettant en scène ces dernières dans une vision hallucinée de la civilisation pavillonnaire à l’américaine. Alain Declercq explore les abris bien réels d’une Suisse ultra paranoïaque quand Gwenola Wagon et Stéphane Degoutin débusquent de leur côté les modernes intrusions des plateformes numériques. Le seul film à avoir été réalisé du temps du premier confinement est celui de Hoël Duret : parti aux antipodes explorer le paysage néo-zélandais où se planifient les atterrissages bunkerisés des fortunés de ce monde, il s’y est retrouvé assigné en résidence forcée et y a produit un film avec les moyens numériques du bord. Anne-Charlotte Finel traite du devenir de demeures somptuaires destinées à finir en ruines majestueuses, faisant écho à la contribution d’Armand Morin et de ses châteaux de sable, qui forment autant de vanités légères. Annabelle Amoros nous plonge dans une intranquillité diffuse, celle qui sourd des alentours ultra sécurisés de la fameuse Area 51 au Nouveau-Mexique, zone désertique impénétrable et source des fantasmes les plus débridés. Thomas Teurlai, enfin, met en musique et en image les imprécations d’Alain Damasio, contempteur d’une société plus que surveillée d’où nulle oasis ne saurait être épargnée par l’apocalypse à venir…
Shelter, le film, est une autre manière de présenter une exposition qui a dû être repoussée à l’année 2022. Œuvre autonome et liée à la fois, c’est un produit filmique expérimental qui reprend les attendus de l’exposition « Shelter » pour en proposer une forme originale, inspirée de la plateforme de visio-conférence Zoom, dont elle emprunte les codes et le format. Lucie Szechter et Benjamin Cataliotti, les deux réalisateurs, ont répondu à la contrainte de faire un film d’auteur en employant le matériel filmique de leurs confrères, tout en s’en dégageant afin d’apporter leur propre vision. Shelter est un documentaire qui documente la production d’œuvres d’autres artistes. C’est aussi une œuvre baroque qui mixe les commentaires des interviewés avec les extraits de leurs films, commentant leurs propres films et ceux des autres – non pas en voix mais en « fenêtre » off. La plateforme Zoom – devenue emblématique d’une époque asservie à la distanciation – a servi de cadre formel à la réalisation d’un film aux contours inédits et au parcours en devenir : teaser d’une exposition future, le film tend à échapper à sa condition première pour remettre en perspective des questionnements fondamentaux que la crise sanitaire a brutalement remis en lumière.
Patrice Joly
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