Vos poubelles sont nos citadelles
une exposition personnelle de Laurent Tixador
Laurent Tixador serait-il un Amish ? Vous savez : cette drôle de communauté religieuse états-unienne aux mœurs et convictions particulières (1), qui refuse d’utiliser les dernières avancées de la technologie et à laquelle le président de la République française avait comparé les opposants à l’arrivée de la 5G en France. Il est vrai que certaines des paroles de l’artiste (2) et de ses agissements pourraient le laisser penser. Des résidences effectuées sur le site désormais mythique de Notre-Dame des Landes ou sur l’île du Frioul par exemple, seulement équipé d’outils et d’« armes » rudimentaires de survie, suffiraient à le classer du côté des disciples d’Erewhon (3). La philosophie de l’artiste nantais est pourtant loin d’être aussi caricaturale. Elle s’entend plutôt comme le refus d’un gâchis des ressources et une volonté de sobriété bien réelle, qui n’a pas attendu son opportuniste mise en avant par les politiques de tous crins pour la mettre en œuvre dans sa pratique. Le titre de l’exposition à Zoo galerie, Vos poubelles sont nos citadelles, traduit bien la triste réalité de notre monde et de notre espèce, qui transforme peu à peu son environnement en un vaste dépotoir de plastique et de métaux usagés – les affichages bien-pensants des COPs n’ayant d’autres effets que de légitimer plus insidieusement le greenwashing généralisé des multinationales de l’extraction.
On peut estimer que le travail de Laurent Tixador s’inscrit dans la double filiation d’un artiste conceptuel comme Douglas Huebler, d’une part, d’un Kurt Schwitters, de l’autre, génial inventeur du fameux Merzbau – atelier, magasin, foyer, lieu de résidence, etc. – qu’il avait installé dans sa maison de Hanovre. À l’instar du premier, Tixador se refuse à produire de nouveaux objets dans un milieu déjà saturé. L’artiste leur préfère le recyclage de matériaux usagés, issus d’une proximité territoriale, d’expositions d’autres artistes ou même de la réutilisation de ses propres pièces. Ainsi de cette « fusée » récupérée au cours d’une résidence aux îles Kerguelen, rapportée dans les soutes d’un navire de recherche scientifique et dont l’épopée de retour en métropole a fait l’objet d’un film, qui sera montré dans l’exposition. Mais là s’arrête la comparaison avec l’artiste américain : Tixador est tout sauf un conceptuel, son art est un véritable travail de sculpteur et de bâtisseur, dans lequel son implication est totale : les maquettes de cagnas (4) qui seront montrées au centre d’art par exemple, sont intégralement réalisées par l’artiste.
Comme Schwitters par ailleurs, Tixador investira une architecture : celle du centre d’art, dans laquelle il installera sa « capsule » le temps de l’exposition. Construit sur pilotis, pour faciliter la circulation des visiteurs tout en le préservant des dérangements intempestifs, cet atelier éphémère sera entièrement assemblé en ramenant de droite et de gauche divers matériaux. L’aspect programmatique du titre de l’exposition sera très littéralement mis en œuvre par la création d’une petite forteresse à partir de ces rebuts. Les autoconstructions dont l’artiste est familier ont déjà donné lieu à des « résidences » au cours desquelles il s’est enfermé, de plusieurs jours à plusieurs semaines, comme pour l’installation qu’il avait réalisée avec les frères Chapuisat dans le cadre du parcours des Tuileries de la Fiac de 2009. Au sein de son atelier à Zoo Galerie, Tixador aura même aménagé une chambre, dans laquelle il envisage de séjourner de temps en temps. Le moins que l’on puisse dire c’est que l’artiste n’est pas claustrophobe. Tout au contraire, il serait plutôt « claustrophile ». Avouant que ces enfermements volontaires lui procureraient même un certain plaisir, il se réfère volontiers au Voyage autour de ma chambre de Xavier De Maistre, récit dans lequel le prisonnier de la citadelle de Turin nous enjoignait de rester dans notre chambre pour échapper à la frénésie du monde et s’en épargner les désagréments (5).
Dans la même veine de ce qui apparaît comme le fil rouge d’une pensée du recyclage poussée à son extrême, les photos de micro dépotoirs urbains instantanés, ceints des cadres mêmes qu’il trouve au milieu de ces déballages sauvages, amènent une dimension réflexive sur notre capacité à nous débarrasser des produits que nous avons auparavant choyés. Si notre tropisme consumériste les traite rapidement comme de purs déchets, il s’applique jusqu’aux « œuvres d’art », qui ne font pas exception en participant de cette obsolescence programmée.
Enfin, l’exposition présentera une multiprise que l’artiste a entièrement réalisée à partir de matériaux trouvés sur un ancien site de tir de l’ile d’Ouessant lors d’une résidence. Les cartouches en cuivre qu’il y a récupérées serviront de fiches, les bouteilles en plastique d’isolant, les fils électriques d’un ancien paratonnerre échoué de rallonge et le pétrole gratté sur les rochers de gainage à ces mêmes fils électriques : rien ne se perd de ces déchets abandonnés dans l’entreprise de récupération à laquelle s’attache l’artiste. Son travail est une véritable action de dépollution car, selon lui, laisser sur place les détritus qui infestent les sols et souillent les rivages est aussi blâmable que de les abandonner. Laurent Tixador a choisi son camp et, coûte que coûte, s’évertue à transformer les poubelles en citadelles.
(1) Allocution du chef de l’État le 14 septembre 2020 devant un parterre de chefs d’entreprises du numérique, en ironisant sur ceux qui préfèreraient « le modèle Amish » et le « retour à la lampe à huile », au lendemain de la demande de moratoire de 70 élus de gauche et écologistes.
(2) Cf l’entretien de l’artiste par Philippe Szechter sur le site de la revue 02 : https://www.zerodeux.fr/interviews/laurent-tixador/
(3) Dans la fiction éponyme de Samuel Butler, les Erewhoniens se refusent à toute utilisation de la technologie, considérée comme responsables de tous les maux et de la chute programmée de la civilisation.
(4) Les cagnas sont des autoconstructions réalisées par les soldats lors de la Première Guerre mondiale. Elles leur servaient de refuge pour échapper à la tension du conflit, se délasser, jouer aux cartes mais aussi pour y reconstituer des substituts de foyer. L’artiste s’y est beaucoup intéressé, y retrouvant certains des principes à la base de ses propres réalisations.
(5) Voyage autour de ma chambre par Xavier De Maistre, publié par son frère Joseph en 1795.
Patrice Joly
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